DOCERE

Julien Freund

« À partir de Kant, une fois introduite la théorie de la représentation on ne parle plus des humeurs et des affections. Et curieusement nous vivons dans une civilisation abandonnée à l'humeur individuelle. Or que signifiait la morale pour les Anciens? C'était la discipline de l'humeur. Ils savaient que l'individu livré à lui-même, à ses humeurs, est insupportable à l'autre. Ils ne cherchaient pas une morale dans le ciel. Elle était au niveau des êtres humains qui doivent discipliner leurs humeurs. Le christianisme a repris cela tout en introduisant la notion de transcendance dans le phénomène moral. Mais à partir de Kant plus personne ne parle d'humeur, d'affection et de passion. Et nouis vivons dans le climat de l'individualisme moderne où chacun revendique le droit à tous ses caprices, comme si tout était possible au sein de la société humaine. L'importance accordée aux gangsters m'apparaît typique de notre société. Celui qui est entièrement débridé devient le héros. Alors que pour la philosophie antique existe une notion de sagesse. L'homme libre est celui qui est capable de maîtriser ses désirs. Et la maîtrise des passions est un thème sous-jacent à toute la philosophie classique. Voyez Descartes et Spinoza. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 31

« Certaines écoles primaires pour favoriser la créativité ont parfois laissé faire aux enfant ce qu'ils veulent. C'est oublier que l'apprentissage des aptitudes de l'intelligence commence par l'obéissance, passage obligé par des méthodes contraignantes. Sinon les enfants ne sauront ni lire ni écrire. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 32

« Ce ne sont pas les idées, mais les sentiments qui sont le principal régulateur de la vie. On peut abandonner sans difficulté une idée pour une autre, qu'on estime meilleure, mais l'on n'abandonne pas de cette manière un sentiment. En général la blessure affective, qu'il s'agisse de l'amour, de l'amitié ou de l'admiration, a des conséquences dramatiques. S'il fallait changer de sentiments comme on change d'idées, on sombrerait dans la folie ou la dépression. L'abstraction rationaliste n'est qu'un aspect de la vie, souvent le plus superficiel dans l'amour de vivre, car nos réactions profondes oont leur origine dans l'affectivité. Certes, la critique est intellectuellement souveraine, mais l'amour ou l'amitié le sont davantage, parce que le sentiment est le lieu des relations délicates et presque imperceptibles, d'autant plus impénétrables qu'elles refusent la publicité. On souffre par le sentiment, on s'indigne au nom de l'intellect. La critique peut irriter, mais le sentiment blessé déroute un être. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 33

« Je pense qu'ils sont malheureux ceux qui n'ont jamais admiré ou qui n'ont pas eu l'occasion d'adminer. [...] Une médiocre n'admiera jamais personne, et c'est pour cette raison qu'il est médiocre; trop imbu de sa personne il ne sait pas reconnaître ce que l'autre lui apporte. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 36-37

« « Reste la catégorie de l'ami-ennemi définissant la politique. Si vous avez vraiment raison, a-t-il affirmé, il ne me reste plus qu'à cultiver mon jardin. » Je lui ai dit : « Écoutez Monsieur Hyppolite, vous avez dit à trois reprises tout à l'heure que vous aviez commis une erreur à propos de Kelsen. Je crois que vous êtes en train de commettre une autre erreur, car vous pensez que c'est vous qui désignez l'ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d'ennemis, nous n'en aurons pas, raisonnez-vous. Or c'est l'ennemi qui vous désigne. Et s'il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d'amitié. Du moment qu'il veut que vous soyez l'ennemi, vous l'êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. » »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 51-52

« Il n'y a que les fats d'une idéologie qui croient détenir la vérité totale, et font étalage de leur prétendu savoir avec arrogance. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 53

« L'idéalité intellectuelle n'est souvent qu'une manière de justifier les crimes. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 54

« Qui aurait cru que la notion de diaspora ne serait plus proprement juive? Sociologiquement, il y a là une nouvelle situation dont on ignore le développement ultérieur. C'est un phénomène mondial et personne n'y réfléchit. S'il y a encore une multiplication des diasporas, la stabilité des sociétés peut être mise en cause. Évolueront-elles vers l'intégration à la deuxième génération ou vers un intégrisme religieux pour conserver leur identité? C'est imprévisible. C'est un équilibre millénaire qui est rompu de nos jours, comme à l'époque des grandes invasions, bien que nous ayons du mal à en saisir la portée. En effet, notre époque d'altérations radicales est, comme les autres du même type, réfractaire à l'histoire, préoccupée qu'elle est par les innovations plus que par le souci de comprendre l'évènement. Un nouveau brassage des populations est en train de s'accomplir sous nos yeux qui dépasse le simple déplacement d'une partie des habitants de la campagne à la ville. La juxtaposition d'éléments aussi hétérogènes ne peut que susciter une désarticulation du corps social, dont il est plus difficile de contrôler, à plus forte raison de maîtriser, les fluctuations et les turbulences que dans un système ayant gardé les apparences de l'uniformité. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 64-65

« Les agriculteurs représentent seulement 6-7% de la population. Les ouvriers sont en train de disparaître. Les artisans aussi. Qu'est-ce que cela signifie? Cela veut dire que les êtres qui ont un contact direct avec l'objet et qui savent pourquoi, n'existent pratiquement plus. Le maréchal-ferrant quand il essaie l'enclume se fait mal et il sait quelle pièce il veut modeler. Or cette dimension du rapport direct avec l'objet se dissout sous nos yeux. Par contre les phénomènes de relations indirectes se multiplient dans de nouvelles professions. Regardez la télévision, un film, un documentaire, une enquête. Le générique est toujours long : défilent devant votre regard ces nouveaux métiers des médias. Or, pour une part, ce sont des relations de ruse et de séduction. La presse joue avec le vrai et le faux parce qu'elle est le triomphe de l'indirect... »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 65-66

« Je suis français. Je ne suis pas l'enfant du « pluriculturel » dont on parle aujourd'hui. Je suis né dans une tradition sur un territoire dans un groupe déterminé qui n'est ni l'anglais, ni l'algérien, ni le chinois. Avec le pluriculturel on déstabilise l'être car je suis du côté de Barrès contre Gide qui répliquait à Barrès : « Où voulez-vous que je m'enracine? ». Mais nous avons tous des racines : c'est une particularité fondamentale. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 70

« Il ne me semble pas que nous puissions retrouver l'ancienne splendeur européenne - trop de facteurs y font obstacle - mais nous pouvons opérer un redressement, dans la mesure où il nous reste l'éspérance. Il ne s'agit pas d'une espérance verbale, que l'on administre comme une consolation à ceux qui sont déjà résignés, mais d'une prospective positive, à condition que les Européens veuillent rester fidèles à eux-mêmes, à ce qui a fait leur grandeur, leur puissance, leur originalité et, n'ayons pas peur des mots, leurs mérites. Bien sûr leur histoire comporte des pages noires, certaines parfois atroces, mais les autres continents n'ont rien à nous remontrer sur le chapitre des vilenies. Par contre l'Europe a accompli une œuvre unique au monde, sans pareille dans aucun autre continent. Nous n'avons pas à en rougir. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 71

« La politique a la responsabilité déterminée d'une communauté dans un domaine précis : assurer la concorde intérieure et la protection extérieure. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 74

« C'est au contact direct du milieu ouvrier que j'ai appris à me méfier de la flatterie idéologique d'intellectuels qui couvrent de mots obséquieux une situation qu'ils n'accepteraient jamais de vivre. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 81

« Le raisonnement m'a fait adopter de nouveau une attitude religieuse. J'ai choisi la religion traditionnelle qui était la foi de mes ancêtres. Agissant avec cette honnêteté dont parlait toujours mon père, finalement la foi est revenue. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 87

« Chestov cite le fameux passage de Tertullien qu'on a appelé le « Credo quia absurdum : je crois parce que c'est absurde ». « Le Fils de Dieu a été crucifié : je n'en rougis pas, parce qu'il faut en rougir. Le Fils de Dieu est mort : cela est croyable, parce que, c'est fou. Il est réssuscité après avoir été enseveli : c'est certain, parce que c'est impossible ». C'est en méditant ce texte que j'ai compris la différence entre foi et croyance. Les religions de croyances sont nombreuses. Les religions de foi sont rares. La foi c'est tout à fait autre chose que les croyances. L'athée est à sa manière un croyant. Contre Dieu il croit à quelque chose. Un communiste comme un scientiste sont des croyants. L'un croit à l'avenir radieux. L'autre à la science. L'homme ne peut pas vivre sans croyance. Mais la foi c'est autre chose, parce que là, dans la foi, l'être se rend compte qu'il ne se donne pas ses propres capacités. Or moi qui souvent dans ma jeunesse avais eu l'impression de dominer intellectuellement ceux qui étaient autour de moi, j'ai eu du mal à l'accepter. C'est grâce à Chestov et ensuite à Tertullien que je l'ai compris. Et, par eux, j'ai découvert la foi. » »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 90-91

« Je crois qu'il y a une absurdité dans la foi. Elle est toujours difficile à vivre. Ce serait tellement simple s'il suffisait de dire : « Ah! j'ai la foi. Tout est réglé ». Il y a une cruauté de la foi. Parfois, je me casse la tête contre les murs. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 93

« Sans être mystique moi-même j'ai estimé qu'il fallait se laisser éprouver par ces chercheurs de Dieu et savoir s'incliner devant eux. Ce ne sont pas des imposteurs. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 95

« J'ai conscience d'être un être prodondément religieux, dans l'esprit de la théologie négative. Je ne vois d'ailleurs pas pourquoi on exclurait la dimension religieuse, car elle appartient à l'expérience humaine au même titre que l'art, la science ou l'économie. Il serait par exemple stupide d'évincer l'art; il serait tout aussi insensé de vouloir radier la religion. C'est l'une des raisons qui m'éloignent du pur positivisme, qui ne reconnaît de droits qu'à l'esprit et non à l'âme. L'idée que je me fais de l'expérience n'est donc pas du tout celle de l'empirisme. L'un des problèmes à retrouver dans la méditation métaphysique, c'est celui de la transcendance de l'âme par rapport à l'esprit, organe purement intellectuel, car il n'est qu'une des formes de l'intelligibilité générale des choses et de la vie. Les philosophes dialectiques par exemple conviennent au jeu de l'esprit, elles ne satifont pas l'âme, et par conséquent elles ignorent une des visions de l'être. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 95-96

« La notion de hiérarchie m'apparaît comme fondamentale. On ne peut pas comprendre l'égalité sans la hiérarchie. L'égalité elle-même crée des inégalités et entraîne une hiérarchie. Si on estime que l'égalité est la valeur suprême on introduit paradoxalement une hiérarchie. Si nous accordons ce crédit à l'égalité c'est que nous la concevons, consciemment ou non, en fonction d'une hiérarchie des valeurs. Tout jugement jumain dans la mesure où il évalue introduit une hiérarchie car évaluer c'est introduire une hiérarchie. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 96

« Ne nous perdons pas dans les abstractions. Il y a une expérience humaine millénaire, une expérience historique de l'humanité. Et si vous ne voulez pas en tenir compte, vous tombez dans les idéologies et un dogmatisme abscons. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 97

« L'essence du religieux, c'est le phénomène de la mort. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 98

« La mort n'est pas tout à fait un néant. Il y a quelque chose qui reste, mais je ne sais où. Ce n'est pas du panthéisme. Je pense que l'immortalité de l'âme, c'est cela. Cette âme subsiste... Il y aura les petits-enfants ou arrière-petits-enfants que je ne connaîtrai pas, comme je n'ai pas connu mes ancêtres... Il y a quelque chose, je ne sais pas quoi, autrement il n'y aurait pas de vie. Elle s'arrêterait et la mort serait une fin radicale? Le néant radical. Sartre n'a pas lu Aristote. Sinon, il se serait posé ces questions. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 101

« La société ne se développe pas linéairement selon un programme ou bien dans des conditions logiques, mais aussi dans un certain désordre de sympathies et d'antipathies, de bienveillances et d'hostilités, d'accords ou de désaccords sur des valeurs, des objectifs et des intentions, des conformités ambiguës d'ambiance et de contamination, d'affinités et d'aversions, d'influences non repérables, etc. Certes, en vertu de ses préjugés le rationalisme peut proscrire théoriquement de telles manifestations, il n'empêche qu'elles se produisent et qu'elles se répètent dans les sociétés. Ce n'est donc pas sur la base de la seule explication causale ou de la seule compréhension des intentions qu'on parvient à éclairer comment le changement de président d'une association peut vivifier celle-ci ou au contraire la faire péricliter. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 104

« Lorsqu'une religion s'institutionnalise, elle se donne une théologie positive. Sinon la foi serait-elle possible? La foi n'est possible que là où il y a des institutions. Par l'institution vous entrez en contact avec l'autre. Pas de façon directe mais par cette transcendance qu'il y a dans l'institution et qui vaut pour tous ceux pour lesquels elle a été instituée. Vous êtes automatiquement dans une théologie positive. Par contre, lorsque vous voulez saisir le concept de Dieu, on ne peut échapper à une théologie négative. C'est Plotin, saint Augustin, Maître Eckart, tous les mystiques. Descartes aussi l'a vu. Sinon vous avez un Dieu conceptualisé positivement. C'est Spinoza. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 117

« La mystique me semble être une expérience qui parvient soudainement à la sasie intuitive de la capacité unificatrice de la trascendance. C'est pourquoi Platon et Aristote seront éternellement nos contemporains dans notre inlassable réflexion sur nous-mêmes. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 120

« L'Europe, conflictuelle à l'intérieur d'elle-même et à l'égard du reste du monde, était la seule civilisation en expansion sur la Terre entière. Replée sur elle-même elle semble en décadence. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 123

« Depuis deux siècles nous n'avons cessé de cumuler les progrès scientifiques et techniques. L'idéologie du progrès a cru que cet essor de la science conduirait l'homme vers la justice et la paix, une sorte « d'eschatologie sécularisée ». Comment y croire après les deux guerres mondiales de ce siècle? Devant le déferlement de la violence et la fragilité du système judiciaire il est impossible de croire à un progrès moral et civilisateur, cumulatif de siècle en siècle. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 125

« La décadence est déterminée le jour où vous avez perdu le territoire. La décadence de l'Europe a commencé le jour où l'Europe s'est ramassée sur son territoire, abandonnant ses conquêtes lointaines. Le jour où l'Empire Romain comme territoire ce fut le point ultime de la décadence. La féodalité est née à ce moment-là. Il y a donc une multiplicité de causes mais le repère essentiel, visible, objectif, est le territoire. La terre d'un peuple, d'un empire... elle est objective. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 136

« Tous les problèmes d'éthique contemporains, ceux qui préoccupent médecins, théologiens, moralistes, psychanalystes, prêtres, sous la pression des techniques biologiques, ce n'est pas avec l'impératif catégorique de Kant que nous pouvons les examiner. C'est à la manière d'Aristote et de saint Thomas. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 144-145

« Le droit n'est pas une propriété. Il est d'ordre relationnel. Il suppose une altérité et une pluralité à l'intérieur d'une société. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 145

« Pour eux [les intellectuels marxistes], cela devenait un problème moral. L'intention était de libérer l'humanité de toutes les aliénations. Entreprise noble entre toutes. Jamais nous ne méditerons assez la distinction de Max Weber entre morale de conviction et morale de responsabilité. Beaucoup d'intellectuels en restent à la morale conviction, à la générosité des intentions salvatrices de l'humanité... L'avenir radieux, la réconcialiation universelle. Et ils en arrivent à oublier l'atrocité des moyens mis en œuvre pour faire advenir l'humanité future. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 162

« Au fond le marxisme est la philosophie réductrice par excellence, puisqu'il fait du politique et des autres activités des formes perverties ou aliénées de l'économie. Ce genre de réduction n'est qu'une forme plus sophistiquée de la conception romantique de la confusion des genres. La théorie des essences que j'ai élaborée, en mettant l'accent sur les données irréductibles l'une et l'autre, est une sorte de réhabilitation de la théorie de la distinction des genres, grâce à la reconnaissance de l'autonomie spécifique de la politique, de l'art, de la religion, etc. Il me semble que l'idée de la distinction des genre enseigne le sens des limites et de la distance indispensable à toute critique sérieuse et judicieuse. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 164

« Pour relever le défi jeté par l'histoire il faut croire en soi-même, dans un certain nombre de biens qui ont fait la grandeur d'un continent. Or l'Europe a sombré dans la culpabilité, l'auto-accusation. Moi je continue de croire à ces choses fondamentales que l'Europe a incarnées à travers les secousses de son histoire. La recherche de la vérité : « L'Europe, continent de la vie interrogée » comme dit Stanley Hoffmann. La négativité comme puissance recherche qui ne s'arrête jamais. La défense des libertés, espace personnel de chaque homme. Pour œuvrer vers l'avenir nous avons besoin de nous appuyer sur ce sol intellectuel qui fit la grandeur de l'Europe. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 176

« Le génie européen a été unique au regard des avantages qu'il a apportés au monde. Il n'est pas exclu qu'il puisse également exister un génie de la décadence. Dans ce cas, il n'y aurait plus lieu de déplorer la décadence européenne si celle-ci pouvait coïncider grâce au rayonnement de son esprit, de son sens des libertés et de la vérité, avec les extrémités de la Terre. Ce ne serait plus une décadence par épuisement, mais par accomplissement de son destin. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 179

« Il [C.F. von Weizsäcker, militant Nouvel Âge et théoricien de l'État mondial] m'a accordé en parole au cours des débats qu'un État mondial au sens vrai du mot ne saurait tolérer aucune dissidence politique, ce qui signifie pratiquement l'exclusion de toute opinion dissidente, ainsi que la disparition de toute politique extérieure au profit de la seule politique intérieure de cet État mondial. La pluralité des États ainsi que leur oppositions ou inimitié me semble être au contraire une cause de failles, d'interstices et de fissures par où passe la liberté politique. Par conséquent, l'État mondial ne pourrait être qu'un État policier. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 213

« L'illusion actuellement prédominante réside dans la crédulité irrationnelle en un dépassement possible de la foi. Toutes les civilisations connues, grandes ou petites, rudimentaires ou développées, ont puisé leur vigueur et leur durée dans une religion, qu'elle fut animiste, polythéiste ou monothéiste. Une civilisation tombe en décadence lorsque s'éteint la foi ou les croyances qui l'animaient. »

— Julien Freund, L'aventure du politique, éd. Perspectives Libres, p. 229